15/10/2025 legrandsoir.info  7min #293449

La dynamique multilatérale contemporaine peut-elle résister à l'ère de Trump ?

Mustapha STAMBOULI

Dans un monde de plus en plus multipolaire, l'ordre international, façonné depuis des décennies par l'influence des États-Unis, est remis en question. L'approche unilatéraliste et nationaliste de l'administration Trump a fragilisé les fondements multilatéraux établis après la Seconde Guerre mondiale. Face à cette évolution, se pose la question : est-il possible de repenser un nouvel ordre mondial, moins centré sur l'hégémonie américaine, mais davantage sur une coopération équitable entre puissances émergentes et anciennes, fondée sur la solidarité, la justice et le respect mutuel ?

Introduction

Depuis l'élection de Donald Trump à la Maison-Blanche, le système multilatéral mondial a été confronté à des remises en question sans précédent. En adoptant une approche résolument unilatéraliste et nationaliste, l'administration étasunienne a bouleversé les fondements de la diplomatie internationale, fragilisant les alliances historiques et remettant en cause des accords clés. Cette évolution soulève une question cruciale : le système international peut-il résister à l'onde de choc engendrée par cette réorientation radicale, ou est-il condamné à une fragmentation irréversible ?

Un revers pour le multilatéralisme traditionnel

Les relations internationales d'après-guerre ont été structurées par des institutions multilatérales telles que l'ONU, l'OMC, FMI et la Banque mondiale, etc., créant des cadres de coopération destinés à maintenir la paix, la stabilité et la prospérité. Toutefois, depuis l'accession de Donald Trump à la présidence, ce système a été mis à mal. L'optique de "l'Amérique d'abord", sous-tendue par des politiques protectionnistes et isolationnistes, a conduit au retrait des États-Unis de nombreux accords internationaux, notamment l'accord de Paris sur le climat, l'accord nucléaire iranien, et le traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire. Ce rejet des principes multilatéraux est symptomatique d'une volonté de réorienter les priorités géopolitiques étasuniennes au détriment de la coopération internationale.

En conséquence, la confiance entre les États a été sérieusement ébranlée. Les pays partenaires traditionnels des États-Unis se sont retrouvés dans l'incertitude, confrontés à des politiques imprévisibles et des réajustements constants. Cette dynamique remet en question les piliers mêmes du système multilatéral, en particulier ceux liés à la sécurité collective, aux échanges commerciaux et à la diplomatie mondiale.

Des conséquences multidimensionnelles : diplomatique, économique et sécuritaire

L'impact de cette évolution ne se limite pas à une simple question diplomatique. Les conséquences sont multiples, affectant aussi bien la stabilité économique mondiale que la coopération en matière de sécurité.

• Sur le plan diplomatique, l'approche de Trump a déstabilisé les mécanismes de médiation, augmentant les tensions avec des pays clés comme la Chine, la Russie ou l'Iran. Les tentatives de "diplomatie à coup de Twitter" ont laissé place à une incertitude permanente, rendant plus difficile la gestion coordonnée des crises mondiales.

• Économiquement, l'abandon des accords multilatéraux a exacerbé les tensions protectionnistes et alimenté la volatilité des marchés mondiaux. La guerre commerciale avec la Chine, notamment, a mis en lumière la fragilité d'un système global fondé sur des accords commerciaux équitables. La montée de l'incertitude a pesé sur les investissements à long terme et sur la stabilité des échanges économiques mondiaux.

• En matière de sécurité, le retrait des États-Unis de certains traités de désarmement et la remise en question de l'OTAN ont mis en péril les structures de défense collective qui ont longtemps garanti la paix en Europe et au-delà. L'érosion de ces alliances crée un vide, souvent comblé par des acteurs moins prévisibles, voire antagonistes, augmentant les risques de conflits régionaux.

L'Émergence d'un nouveau modèle : vers un ordre mondial sans les États-Unis

Alors que la politique unilatéraliste de Trump fragilise l'ordre mondial actuel, cette situation pourrait aussi offrir une opportunité pour réinventer un nouvel ordre international, plus équilibré et diversifié. Ce nouvel ordre pourrait être construit autour de coalitions régionales, d'institutions alternatives et de nouveaux modèles de gouvernance collective qui ne dépendent pas des États-Unis et de leurs alliés traditionnels.

1. Renforcer les alliances régionales

Une première étape pour créer un nouvel ordre mondial serait de renforcer les alliances régionales, permettant à des groupes de pays partageant des intérêts communs de jouer un rôle clé dans les affaires internationales :

• L'Union Européenne (UE) pourrait jouer un rôle de leader en consolidant ses relations avec des puissances émergentes comme la Chine et l'Inde. L'Europe, avec ses institutions robustes et son modèle de gouvernance multilatérale, pourrait proposer une alternative aux États-Unis pour le respect du droit international et des accords globaux.

• Le Groupe des BRICS pourrait évoluer vers une structure plus solide, capable de prendre des décisions sur des enjeux globaux tels que la régulation des marchés financiers, la sécurité collective et la gestion du changement climatique. Ce groupe serait un contrepoids naturel à l'influence des EU.

• L'Afrique, en pleine expansion, pourrait se transformer en un acteur central dans l'élaboration d'un nouvel ordre mondial. Un partenariat renforcé avec la Chine, l'UE et d'autres pays en développement pourrait offrir une voie plus autonome de développement, loin des influences des grandes puissances traditionnelles.

2. Créer des institutions internationales alternatives

Si les institutions internationales actuelles, dominées par l'influence des États-Unis (ONU, FMI, Banque mondiale), semblent être en déclin, il devient crucial de développer des alternatives qui permettent aux pays non occidentaux d'avoir une voix égale dans la gouvernance mondiale.

• Une réforme de l'ONU : La création d'un système de prise de décision plus inclusif et représentatif, notamment en réformant le Conseil de sécurité pour mieux refléter les réalités géopolitiques contemporaines, pourrait restaurer la légitimité des institutions multilatérales.

• Des forums alternatifs : de nouveaux forums de gouvernance mondiale, tels qu'un "Forum pour la justice économique et sociale", pourraient permettre aux pays en développement de remettre en question l'ordre économique mondial actuel et de proposer des solutions plus équitables aux crises globales.

3. Redéfinir la sécurité collective

Le système de sécurité mondiale, dominé par l'OTAN, pourrait également bénéficier d'une révision profonde. La mise en place de mécanismes de sécurité collective sans l'influence des États-Unis permettrait de renforcer la coopération entre nations sans ingérence extérieure.

• Une nouvelle OTAN : une structure alternative de sécurité collective, incluant des pays comme la Russie et la Chine, pourrait permettre de garantir la sécurité mondiale tout en évitant une domination par une seule superpuissance.

• Forces de paix régionales : la création de forces de paix régionales, plutôt que d'intervenir avec des armées étrangères, pourrait favoriser la stabilité locale tout en respectant les souverainetés nationales.

4. Une économie solidaire et durable

Un ordre mondial sans la domination des États-Unis pourrait être l'occasion de redéfinir les règles économiques mondiales autour de principes de solidarité, de durabilité et de justice sociale.

• Une monnaie alternative : une monnaie de réserve alternative, comme l'euro ou le yuan, pourrait émerger, réduisant la dépendance vis-à-vis du dollar et offrant davantage de flexibilité aux pays en développement.

• Réformes des institutions financières internationales : la Banque mondiale et le FMI pourraient être réformés ou remplacés par des solutions qui privilégient des financements plus équitables pour les pays en développement, tout en respectant les spécificités locales et les droits humains.

5. Une gouvernance mondiale de l'environnement

Le changement climatique étant l'un des défis mondiaux majeurs, un nouvel ordre mondial pourrait permettre une action plus ambitieuse et plus rapide pour y répondre.

• Accords environnementaux mondiaux : un système mondial où les petites nations, notamment celles les plus vulnérables, auraient une voix plus forte dans les négociations climatiques pourrait garantir une action plus juste et plus solidaire face à la crise environnementale.

Conclusion : un nouveau commencement pour le multilatéralisme

L'ère Trump aura certes remis en question l'ordre établi, mais elle aura aussi ouvert la voie à une redéfinition des rapports internationaux. Un nouvel ordre mondial, sans la domination des États-Unis et de leurs alliés traditionnels, pourrait émerger en s'appuyant sur des alliances régionales renforcées, des institutions alternatives et une gouvernance économique et environnementale plus solidaire et inclusive. Cette transition, bien que complexe, pourrait offrir l'occasion de réinventer le multilatéralisme et de bâtir un système mondial plus équitable et résilient, capable de répondre aux défis globaux du XXIe siècle.

14/10/2025

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